Florent traduit des poésies

Ces traductions approximatives mais suffisantes vous sont offertes par l'association Club Lycorn qui a (entre autres) mis en scène des poésies russes de l'âge d'or et de l'âge d'argent.

J'y suis chargé des sous-titres en français pour les pièces rapportées non-russophones, et lorsque nous ne trouvons pas de traduction, je m'y colle.

Cliquez sur les titres pour avoir les versions originales: elles sont meilleures.

Sacha Tchorny

Un conte urbain (1909)

Plus fin qu'un camée, son profil lisse,
Des yeux prune mûre, un regard de diva,
La gorge blanche comme lys,
Et le port de Lady Godiva,

L'âme profonde et fine
Comme un premier violon:
À la fac de médecine,
« Madonne » est son surnom.

Or Madonne un jour reçut le grammairien
Phaddée Simeonovitch Smiatkine.
N'allons pas par quatre chemins :
Il s'enflamma pour la carabine.

Voyez-le, pris d'ardente passion
- Ses yeux, sa bouche, son nez !
Il béguaye, tel un poisson
Qui frétille en son panier.

Il voudrait être son soleil,
Son frère, sa soeur, son gant,
Ou bien sa boucle d'oreille,
Et même sa brosse à dent !

Vous êtes fatiguée, Varvara Petrovna ?
Oh, combien tremblent vos mains !
Chuchote l'amoureux grammairien
Le coeur comme pris en un cadenas.

Fatiguée ? Ah, c'est bien vrai.
Le cadavre aujourd'hui était gras et laid,
Et les scalpels si froids...
Je ne sentais plus mes doigts.

Ensuite, mes malades vénériennes
Sous le pont Kalinine étaient une centaine :
Toutes, il a fallu que je les traite...
Mais qu'avez vous? Des allumettes ?

Elles sont sur la fenêtre. Voila.
Puis j'ai du ouvrir un chat,
Retirer son rein,
Le recoudre avec soin...

Ensuite, préparation en verrine
D'extrait de placenta fermenté
Et pour finir de m'éreinter,
Travaux pratiques d'analyse d'urine...

Mais pardon ! Je parle de mes problèmes
et j'en oublie mon invité.
Venez, que je vous fasse goûter
Ces confitures que j'ai faites moi-même.

Smiatkine était un peu livide.
Il dit sourdement « Merci ! Non ! »
À la gorge une boule acide,
Suffoquant comme à l'air un poisson.

Plus envie d'être son soleil,
Son frère, sa soeur, son gant,
Ou encore sa boucle d'oreille...
Et moins que tout sa brosse a dent.

Alexandre Pouchkine

Epigramme à Shalikov

Le Prince Shalikov, qu'en nos gazettes on lit,
Lisait à sa famille une élégie de lui.
Devant cet orateur, un tout petit cosaque
Tenait le chandelier comme un cierge de Pâques.
Et voilà ce garçon qui pleure et qui sanglote.
"Voyez, voyez, prenez-en exemple, mes idiotes !" -
Crie le Prince à ses filles avec ravissement. -
"Me confesseras-tu, cher enfant du Bon Dieu,,
Ce qui a fait monter cette larme à tes yeux?
Et lui de lui répondre : "J'ai un besoin pressant."

Piotr Viazemski

Notre vie au grand âge

Notre vie au grand âge est un peignoir usé :
On ne veut le porter, on ne veut le laisser ;
Il a tant, comme un frère, partagé notre temps
Qu'on n'aura plus l'idée de le raccommoder.

Il a vieilli aussi comme nous vieillissions ;
En haillons notre vie, et lui est en haillons,
L'encre l'a constellé de moult éclaboussures,
Mais précieuses nous sont ces taches et ces ratures ;

Ce sont les rejetons d'une plume à qui l'âge
A transmis joies radieuses et sanglots des nuages,
Et toutes nos pensées, et tous nos grands mystères,
Toutes nos confessions, tout notre avoir sur terre.

De même sur nos vies des traces sont restées :
Les souvenirs des plaintes et des pénalités,
Et l'ombre des chagrins, et des troubles plus sombres,
Mais une beauté triste se cache dans ces ombres.

La beauté des légendes, de ces mots qui nous touchent,
Le souvenir ému qui survit au tombeau
Et la matinée fraîche et le jour clair et chaud
Nous souviennent encor quand le soleil se couche.

Et j'aime aussi parfois cette vie de naguère
Avec ses tournants tristes, avec tous ses malheurs,
Comme un soldat la cape qu'il portait à la guerre,
Je porte ce peignoir, plein d'amour et d'honneur.